L'appel des pôles - En direct avec nos envoyés spéciaux
Nos envoyés spéciaux en Antarctique, Elsa et Julien, lauréat de l'Appel des pôles, nous informent jour après jour de leur découverte...
Nos envoyés spéciaux en Antarctique, Elsa et Julien, lauréat de l'Appel des pôles, nous informent jour après jour de leur découverte...
Elsa Clairay, ancienne élève du lycée Ernest Renan à Saint-Brieuc, actuellement étudiante à l’école du Louvre à Paris, et Julien Schott, ancien élève du lycée Beaumont Redon, actuellement étudiant en Droit à Rennes, ont embarqué lundi 21/02/2022 sur un navire de la compagnie Ponant, direction l’Antarctique !
En qualité d'envoyés spéciaux en zone polaire, ils seront les témoins privilégiés auprès de tous les élèves Bretons de la beauté et de la fragilité des environnements polaires.
Elsa et Julien vous emmènent donc avec eux dans ce sanctuaire unique en son genre qu’est l’Antarctique, "Terre de paix et de sciences" depuis le traité de l’Antarctique de 1959. Ils partagent leur découverte de l’Antarctique, leurs impressions, leurs questionnements et délivrent des messages à leurs pairs autour de la nécessaire transition écologique et énergétique que l'académie porte avec conviction. Ils nous invitent à comprendre comment ces environnements sont impactés par les activités humaines même lointaines. A leur retour, ils animeront des conférences à destination des scolaires et du grand public.
Vous pouvez aussi les suivre sur Instagram et Twitter : @appeldespoles
21 février et suivants : L’aventure commence
C’est un peu déboussolés que nous sommes arrivés à Ushuaïa dans la matinée du 21 février 2022, après avoir cumulé au total presque dix-huit heures de vol depuis Paris. Pourtant, l’émerveillement est au rendez-vous : la ville s’étend sous un soleil radieux, entourée par les dernières montagnes de la Cordillère des Andes dont le sommet est recouvert de neige éternelle. C’est d’ailleurs le glacier Martial, du nom d’un explorateur français, qui alimente une grande majorité de la ville en eau.
Située sur la latitude 55 degrés Sud en Argentine, Ushuaïa est la ville la plus australe du monde, ce qui lui vaut son surnom de « ville du bout du monde ». Pour être plus exacts, il existe un « village du bout du monde » davantage au Sud : Port Williams, une petite base chilienne. Mais la majorité des croisières pour l’Antarctique partent d’Ushuaïa, qui compte chaque année de plus en plus de visiteurs désireux d’embarquer vers le Continent Blanc…
Après un rapide tour en bus, nous nous sommes arrêtés devant l’emblématique panneau « Ushuaïa » afin de prendre quelques photos, avant de monter vers les hauteurs de la ville. Là, le spectacle était grandiose ; la ville apparaît comme un écrin, bordé d’un côté par les montagnes et de l’autre par la baie qui s’avance vers l’Ouest : c’est l’embouchure du canal de Beagles, que nous devons emprunter pour rejoindre l’Antarctique.
Cette ville de 80 000 habitants est surprenante car à l’origine, elle a été créée dans un but purement géopolitique. En effet, afin d’occuper ses terres jusqu’aux frontières, l’Argentine a installé un bagne à Ushuaïa. Après la fermeture du bagne en 1947, la ville s’est à nouveau dépeuplée. Le gouvernement a donc souhaité lui redonner de l’attractivité en votant en 1972 une loi favorisant les travailleurs du secteur de l’assemblage électronique : leur salaire y est 3 fois plus élevé que dans le reste du pays ! Le tourisme y est également florissant, surtout depuis le développement des croisières en Antarctique.
Un peu partout à Ushuaïa, des drapeaux de la Terre de Feu ondulent dans le vent. Les couleurs tranchées contrastent entre elles : entre le orange du feu et le bleu du ciel se détache un albatros blanc, symbole de la région.
En milieu d’après-midi, nous avons pu embarquer à bord de l’Austral, notre bateau pour les quinze prochains jours. L’équipage nous y attendait déjà, et nous a réservé un accueil chaleureux.
La première soirée sur un bateau est toujours la plus émouvante. Nous regardons le port d’Ushuaïa s’éloigner au loin, jusqu’à se confondre avec l’horizon brumeux du large. Des rayons lumineux s’infiltrent au travers des nuages, pour s’enfoncer dans les profondeurs de l’eau. Ça et là, ils provoquent des taches d’un vert émeraude qui rythment la surface monotone du large. Les trouées d’or inondent la baie d’Ushuaïa d’une lumière douce et rassurante, qui nous arrache au continent vers des horizons inconnus. Nous perdons peu à peu tous nos repères et pourtant, nous n’avons jamais été aussi sereins. Au sommet des montagnes lointaines, les restes de neiges éternelles se confondent avec le ciel, comme s’il s’agissait de gigantesques miroirs où les nuages viennent se refléter. Ce spectacle grandiose ne peut que présager de belles surprises…
Dès la première nuit, nous sommes réveillés avec le sentiment étrange d’être secoués dans tous les sens. Nous nous y attendions : c’est le début du redouté « Passage de Drake ». En effet, le passage de Drake n’est pas de tout repos. Ce détroit désigne le bras de mer qui relie le Sud du Continent Américain à l’Antarctique. Bien qu’il s’agisse du chemin le plus court pour se rendre en péninsule Antarctique, il demande tout de même deux jours de navigation. Les conditions météorologiques y sont réputées difficiles, car c’est le point de convergence entre les Océans Atlantique et Pacifique. La houle peut parfois y creuser des vagues allant jusqu’à douze mètre de haut ! Mais nous pouvons nous estimer chanceux, car les conditions sont plutôt clémentes lors de notre traversée : les vagues font environ six mètres.
Cela ne nous a pas empêché d’avoir le mal de mer, et de parfois devoir rester couchés tellement la houle était importante…L’aventure commence fort ! Heureusement, une fois le Passage de Drake franchi, l’Océan Austral redevient très calme : une vraie mer d’huile.
24 février
Après avoir traverser les Îles Shetland du Sud, nous voilà vraiment en Antarctique, le continent blanc.
C'est à notre réveil que nous observons pour la première fois le paysage glacial du 7ème continent.
Ce matin, le brouillard est présent et ne nous laisse pas complètement découvrir l'environnement qui nous entoure mais on ressent déjà le calme et l'atmosphère apaisante qui en découle.
Aujourd'hui, pas de débarquement prévu mais une sortie kayak et une balade en zodiac.
Les kayaks nous permettent de naviguer au cœur de Curtis Bay, relativement calmement, pour profiter au maximum du spectacle qui nous est offert.
Cette sortie nous permet d'approcher de plus près les Icebergs sans trop s'en rapprocher car ils peuvent être dangereux !
Par moment certains bouts de ces majestueux blocs de glace tombent à l'eau en provocant des bruits semblables à une détonation et de sacrés remous : c'est ce qu’on appelle le vêlage.
Si un kayak se trouve dans les parages il risque de se retourner et d'envoyer ses passagers dans l'océan Antarctique.
Heureusement nous sommes équipés d'une combinaison complètement étanche, et bien-sur, d’un gilet de sauvetage.
Sans cette combinaison on risque de perdre conscience en 3 minutes et de mourir en 5 minutes ...
Cette après-midi, nous voilà partis pour une balade en zodiac à Spert Island
On découvre alors une face beaucoup plus inattendue de l'Antarctique avec beaucoup de roches basaltiques.
On est émerveillés par les passages sous des tunnels et les arcs rocheux trouvés par les guides naturalistes, par les icebergs qui apparaissent entre deux falaises, et tout cela sous les rayons du soleil.
C'est la première grande surprise de cette aventure : le continent blanc n'est pas totalement blanc.
On y trouve énormément de roches volcaniques datant de l'époque des éruptions volcaniques, il y a 80000 ans.
Il est 20 heures, le capitaine fait une annonce : des baleines à tribord !!!
On se précipite sur le pont pour assister à l’événement qu’on attendait le plus car tous les connaisseurs de l’Antarctique nous garantissaient qu’on allait en voir, mais pour l’instant on ne les avait toujours pas vues.
Et quoi de mieux qu’un coucher de soleil pour observer des baleines pour la première fois de sa vie ?
On voit d’abord des souffles jaillir de l’océan, puis la petite nageoire dorsale qui ressemble plutôt à une bosse et enfin la queue lorsqu'elles plongent : ce sont des baleines à bosse qui nous offrent ce splendide spectacle.
Malgré le froid piquant, on reste dehors pour ne pas en perdre une seule miette, et on ose même parfois sortir les mains pour prendre quelques clichés et vidéos.
25 février
Ce matin, nous voilà en route pour marcher sur l'eau.
C'est sous la neige que nous embarquons dans un zodiac qui nous emmène sur un morceau de banquise dérivant.
L'Austral est arrivé dans la baie de Wilhelmina en pensant trouver la même banquise rattachée au continent que la semaine précédente, mais rien de tout ça !
En effet, la banquise était toute morcelée, ce qui a rendu la navigation très compliquée.
Une fois dessus on se rend compte de la sensation particulière procurée par cette halte sur de la glace flottante.
A chaque fois qu'on cherchait le navire des yeux, il avait changé de place car on tournait en rond au fur et à mesure que la glace dérivait.
Ce moment à même été partagé par le capitaine qui est venu discuter avec nous, on lui a alors présenté le projet "L’Appel des Pôles".
De plus, notre bout de banquise n'est pas très bien isolée et on a une vue directe en vis à vis : un phoque crabier !
On prend aussi le temps de discuter avec les guides naturalistes avec qui nous faisons part de notre première impression marquante et assez inattendue : ici, en Antarctique, tout change très vite. La météo évolue rapidement, et nous offre à chaque fois des lumières différentes : c’est grâce à ces changements que le continent blanc est si passionnant à observer. On peut se réveiller sous la neige et un épais brouillard, vivre un début d’après midi grisâtre et finir par une soirée dégagée pour voir un coucher de soleil à observer des baleines.
Nous voilà maintenant à « Portal Point » notre première excursion continentale, c’est à dire que cette fois nous ne mettons pas les pieds sur une Île de l’Antarctique mais sur le continent.
On est accueillis par un phoque de Weddell, plus gros que notre voisin de ce matin, qui faisait la sieste au soleil. Quelques manchots papous sont aussi présents, ainsi qu’une otarie.
On monte au sommet de l’île pour avoir une jolie vue sur le glacier d’en face.
Pour la descente, on est autorisés à descendre en glissant façon luge, mais sans luge, et comme on est les derniers comme souvent, la piste est parfaite car la neige est bien tassée. On observe une dernière fois les amusants manchots papous avant de rentrer au bateau.
Crédits photographies : Envoyés spéciaux Antarctique
26 et 27 février - Au coeur du Continent Blanc.
Ce matin quand nous nous réveillons, le paysage est entièrement blanc et plongé dans la brume. Une atmosphère fantomatique nous accueille en péninsule Antarctique. Pas de doute, nous sommes bien à proximité de la ligne du cercle polaire…
Nous nous préparons rapidement pour affronter le froid qui nous attend dehors, à Neko Harbour. Découverte par le navigateur De Gerlache lors de son expédition en 1897 - 1899, la baie de Neko Harbour compte parmi les plus belles de la péninsule antarctique. Cette baie est baptisée en 1921 du nom de l’usine baleinière flottante de Neko, en activité entre 1911 et 1924. Nous apercevons au loin l’usine baleinière désaffectée, avec ses grands silos qui servaient autrefois à stocker la graisse de baleine. Ces installations nous serrent le coeur : elles donnent un aspect presque morbide à cet endroit pourtant si beau. Quand on imagine qu'il y a à peine un siècle, des dizaines baleines mortes étaient étendues sur le rivage de Neko, on ne peut pas s’empêcher de maudire l’audace des Hommes qui les ont exploitées. Heureusement, la présence des baleiniers sera peu à peu broyée par le passage du temps : la Nature reprend toujours ses droits ici, en Antarctique.
À peine débarqués à terre, nous devons slalomer entre les nombreux manchots Papou qui se rendent depuis leur colonie jusqu’à la mer. Ces amusantes bestioles utilisent en effet ce que les guides nous présentent comme étant des « autoroutes à manchots » pour circuler au sein de la colonie. Ces sillons creusés dans la neige leur permettent de dévaler plus facilement le flanc du glacier jusqu’au rivage. Mais attention ! Il est important de respecter un certain « Code de la Route » spécifique aux manchots, car si on leur barre le chemin, on risque de troubler leurs déplacements. Nous veillons donc à ce que la voie soit libre avant de sauter par-dessus ces sillons neigeux, quitte à attendre quelques minutes que nos amis Papou soient descendus.
L’ascension jusqu’au sommet du glacier n’est pas des plus aisées, car nous nous enfonçons constamment dans la neige : cela nous fait trébucher, parfois même tomber. Dans ces moments là, nous nous sentons un peu « manchots », et c’est le cas de le dire… Pour couronner le tout, ces derniers nous observent d’un oeil rond et étonné, comme pour dire : « mais qui sont ces grands animaux maladroits ? ». Nous autres Hommes, contrairement aux manchots, n’avons pas de pattes aux petites griffes acérées pour les planter dans la glace !
Tant bien que mal, nous nous hissons jusqu’à un promontoire rocheux qui nous offre une vue panoramique sur un magnifique glacier, ainsi que sur la plage enneigée en contre-bas. Cette spectaculaire baie invite à la méditation ; c’est pourquoi nous nous asseyons au bord du vide quelques instants, à contempler ce que la Nature a à nous offrir. En face, un élégant glacier s’avance vers l’océan ; il vient se refléter dans ce « miroir » d’eau salée. La surface parfaitement lisse de l’eau nous permet d’observer ce second glacier, à l’envers cette fois-ci…
Les couleurs vibrantes s’accordent parfaitement, dans une harmonie de bleus et de blancs. De temps à autres, nous sommes surpris par le vêlage du glacier, qui provoque un bruit semblable à un tremblement de terre. Au loin, l’Austral parait ridiculement petit, comme noyé dans tout ce blanc.
Sur les conseils de la guide, nous arrêtons quelques temps de prendre des photos - ce qui est très tentant car nous voulons emporter ce paysage avec nous pour toujours - et nous nous imprégnons de cette belle baie en silence. Enfin, le silence est relatif, puisque nous entendons les manchots piailler en contre-bas ! On imagine souvent l’Antarctique très silencieux, mais c’est l’inverse : entre les animaux qui crient, la glace qui craque, les glaciers qui vêlent et le vent qui siffle, il s’y passe beaucoup de choses inattendues. La Nature nous rappelle sans cesse sa présence, mais en dehors de ça, l’atmosphère qui y règne est d’un calme olympien.
Nous retournons au Zodiac, toujours fascinés par le spectacle merveilleux auquel nous sommes arrachés…Nous avons beau avoir imaginé de tels paysages dans nos têtes avant de partir, le fait de les vivre est tout autre chose. Les émotions semblent être décuplées ici, comme si chaque minute comptait pour toute une vie.
Dans l’après-midi, on nous emmène sur l’île de Danco, du nom de l’explorateur qui l’a découverte : Émile Danco.
Sur la plage, de nombreux icebergs sont venus s’échouer, un peu comme dans un cimetière. Leurs formes sont si variées ! Elles nous évoquent une baleine, un phoque, un nuage ou même un transat sur lequel nous pouvons nous allonger…pour siroter une boisson bien fraiche. Nous nous armons ensuite de courage pour gravir la pente qui nous sépare du sommet de l’île. Dans la neige, nous remarquons de petites traces rouges : il s’agit d’algues des neiges, qui poussent sous la glace. En été, elles produisent du caroténoïde, un pigment rouge-orangé qui leur permet de résister aux rayonnements du soleil.
Lorsque nous arrivons en haut, tout est désert. Tout le monde est déjà redescendu ou reparti dans les Zodiac. Il commence à neiger de plus en plus fort, et de gros flocons recouvrent progressivement les empreintes de pas des quelques courageux qui ont randonné jusqu’ici. Le brouillard se lève, si bien que nous avons du mal à distinguer les sommets du continent, en face de l’île. Dans sa robe de brume, Danco Island se pare d’une ambiance magique, presque mystique.
Soudain, deux guides naturalistes nous surprennent en nous jetant une, puis deux, puis trois boules de neige à la figure ! Nous ripostons, et s’ensuit la plus belle bataille de boules de neige de notre vie. Épuisés, nous finissons tous par nous allonger dans la neige pour observer le ciel en silence. Les flocons nous tombent doucement sur les yeux. Ce moment était si paisible qu’il fait partie d’un des plus marquants de la croisière. Le paysage, complètement vidé de tous les autres passagers, nous apparaît alors sous un nouveau jour : vierge et débarrassé de toute empreinte humaine. Nous découvrons en cette fin d’après-midi brumeuse la face cachée de l’Antarctique.
En paix avec nous-mêmes et avec la nature, nous regagnons le bateau pour une bonne nuit de sommeil bien méritée.
Le lendemain, c’est une météo beaucoup moins drôle qui nous attend : « les vraies conditions de l’Antarctique », comme les appelle le capitaine ! Nous approchons donc de l’île de la Déception, située au sein de l’archipel des Îles Shetland du Sud, dans l’océan Austral. D’un diamètre de 12 kilomètres, cette île est une caldera, c'est-à-dire un volcan dont le cratère s’est effondré en son centre. Ici, le centre du volcan est immergé dans l’eau. La baie surnommée les « Forges de Neptune » ménage une entrée étroite de seulement 230 mètres, avec un rocher affleurant en plein milieu ! Cela laisse environ 100 mètres pour le passage du bateau, ce qui requiert le sang froid du capitaine. Heureusement, avec ses quatre moteurs électriques, l’Austral est d’une grande maniabilité ; cela nous permet de pénétrer sans encombre dans la caldera.
Nous débarquons sur une plage de sable noir et de roches volcaniques. Nous comprenons rapidement d’où cette île tire son nom : un paysage noir et désert, vide de toute vie, s’étend à perte de vue… La pluie et le vent nous fouettent le visage, et nous luttons sans cesse contre la force des éléments. Nous nous mettons en marche pour nous réchauffer. Une fois en haut, un vent glacial extrêmement puissant nous pousse et nous déporte de tous les côtés. Le précipice s’étend sur notre droite, avec en contrebas un petit cratère secondaire.
C’est dans ces moments qu’on se sent vraiment vivants ! Nous oublions l’espace d’un instant le mauvais temps pour admirer cette impressionnante caldera balayée par les vents. Cette île a déçu plus d’un explorateur qui, pensant trouver un abri protégé du vent sur les berges intérieures, s’est vite vu détrompé.
Rien ne doit être pris pour acquis ici, tout peut changer très vite : une baie d’apparence paradisiaque peut se révéler hostile en un claquement de doigts. Sur le chemin du retour, nous nous disons que sans l’aide de l’équipage et le confort du bateau, nous ne survivrions pas très longtemps seuls dans ces milieux extrêmes ! Et ce sentiment va se vérifier dans l’après-midi…
En effet, cet l’après-midi, nous ressortons de la caldera en bateau pour atteindre une baie à l’extérieur de l’Île de la Déception : Baily Head. Habituellement, l’équipage ne prend pas le « risque » de débarquer ici car les conditions météorologiques y sont souvent compliquées. La houle rend le débarquement périlleux, voire parfois impossible. Mais la mer est calme aujourd’hui, et les conditions bien meilleures que celles du matin : les guides naturalistes - après un repérage en Zodiac - décident donc que nous pouvons débarquer à Baily Head.
Cette baie est exceptionnelle car elle abrite environ 100 000 manchots à jugulaire, soit près de 50 000 couples venus y nicher. Nous ne pouvons pas manquer cela !
Ni une ni deux, nous enfilons nos bottes direction le Zodiac ; là, on nous prévient que le débarquement doit se faire rapidement car la houle, bien que modérée, reste compliquée à gérer. Malheureusement, au moment de descendre, une grosse vague fauche notre Zodiac qui est projeté sur le côté et l’un de nous deux tombe à l’eau… la mer est fraîche mais peu profonde, car nous sommes juste au bord de la plage. Heureusement, l’équipe de matelots intervient tout de suite et tout rentre dans l’ordre. Cet épisode mouvementé et rafraîchissant ne nous a pas empêché de suivre la visite normalement. Ce que nous découvrons ici contraste avec les lieux des jours derniers. Le paysage enneigé d’hier a laissé place à de grandes étendues aux sommets verts, rappelant la Géorgie du Sud. Les roches sont recouvertes de mousses et d’algues, qui se développent grâce à l’azote contenu dans le guano des manchots (un mélange de déjections et d’urine, très fertile). Tout un écosystème vit ici en co-dépendance !
Nous circulons parmi ces nombreux manchots, qui peuvent nicher jusqu’à 150 mètres de hauteur, assez loin de la mer. Les adultes en train de muer côtoient les jeunes, reconnaissables car ils n’ont pas de plumes rigides au niveau de la queue ni de ligne noire au niveau de la jugulaire - ce qui est propre à cette espèce. Leur odeur est aussi forte que leurs cris incessants. Cette « ville de manchots » est un peu en pagaille, car elle regorge de vie. Dire que d’ici trois semaines, tout ce petit monde sera retourné à l’eau en laissant l’endroit désert ! Nous nous estimons chanceux d’avoir pu observer cette gigantesque colonie dans son habitat naturel, totalement libre.
Cette journée fut riche en émotions, comme toutes les autres à vrai dire… Nous n’avons pas le temps de nous ennuyer ici, car nos emplois du temps sont bien remplis. Il y a sans cesse quelque chose de nouveau à observer : des baleines à tribord, un glacier à bâbord…Cette croisière n’est pas de tout repos ! Tout est si nouveau et si intéressant à observer que nous ne savons plus où donner de la tête. Chaque jour, les guides nous surprennent avec des endroits plus beaux les uns que les autres, qui nous poussent à rêver et à réfléchir.
28 février
C’est aujourd’hui que nous allons fouler pour la dernière fois le continent Blanc, car dès demain nous voilà repartis vers Ushuaïa et la fin de notre aventure. Mais pour l’instant on ne pense pas à lui dire au revoir mais juste à profiter au maximum.
Ce matin direction Devil Island et sa colonie de manchot Adélie, une espèce que l’on a encore très peu vue. Mais comme annoncé par les guides, ils sont peu nombreux encore présents sur la plage car la plupart est déjà repartie en mer pour la saison hivernale. Cette île a hérité du nom de « l’île du diable » en raison des deux sommets présents qui peuvent faire penser aux deux cornes du diable.
Ils ont pour habitude de nicher plus tôt dans la saison et de faire leur mue directement sur un morceau de glace dérivant ce qui explique leur avance par rapport aux manchots Papou et à jugulaire.
En plus des manchots, on compte la présence de nombreuses otaries à fourrure et petits icebergs échoués sur la plage.
Puis on entame une marche pour atteindre un des deux sommets de l’île, situé à 180 mètres d’altitude. C’est la première fois depuis que nous sommes arrivés en Antarctique que nous avons chaud, et une fois en haut on se permet même d’ouvrir notre veste !
Mais cette marche légèrement sportive nous permet une nouvelle fois d’apprécier la vue grandiose qui nous est offerte sur la baie qui entoure l’île. On respire un grand bol d’air frais, nous prenons quelques photos puis on s’assoit pour observer silencieusement le glacier d’en face et le magnifique iceberg juste en dessous. Les paysages sont une nouvelle fois grandioses et semblent infinis.
Il est midi, nous sommes en train d’aller manger mais des invités surprise viennent d’arriver et nous font changer de destination. Le capitaine annonce que des rorquals communs sont en visu alors on s’empresse de se rendre au pont avant du bateau. Ce sont les deuxième plus grosses baleines du monde derrière les baleines bleues, et ça se voit. Lors de notre observation de baleine à bosse nous n’avions pas forcément réussi à se rendre compte de leurs 10 mètres de long mais cette fois ci leur taille impressionnante sautait aux yeux malgré la distance.
Après cette superbe observation on décide d’aller manger mais de nouveaux invités bien plus nombreux font irruption : des orques !!!
Nous ressortons en vitesse et on aperçoit un aileron au loin, on est heureux car c’était le dernier animal qui manquait à notre expédition.
Mais le spectacle ne s’arrête pas là car le groupe s’approche du bateau, et nous ressentons immédiatement la puissance qu’ils dégagent. Ces mammifères marins se déplacent en bande dirigée par la plus vieille femelle et à l’arrière on retrouve le ou les grands mâles reconnaissables à leurs imposants ailerons noirs. Ce moment est grandiose et tout le bateau semble ébahi par cette surprise car les voir d’aussi près est vraiment rare d’après les habitués. On croise des serveurs, des cuisiniers et d’autres membres de l’équipage et on court vers l’arrière du bateau pour les observer jusqu’au bout.
Ils finissent par continuer leur route et on peut cette fois ci pour de bon aller manger.
Cet après-midi un débarquement à Brown Bluff est prévu, un ancien volcan qui s’est formé à la suite d’une éruption sous la glace, la lave est donc restée bloquée et a refroidi. Mais comme à chaque fois l’Antarctique nous réserve des surprises cette fois ci pas d’orques ni de baleines mais des « growlers ». Ce sont des petits blocs d’iceberg qui se sont échoués sur la plage et leur nombre rend l’accès à terre impossible. Mais les guides n’abandonnent pas et activent le plan B : une balade en Zodiac le long du glacier et de la plage. On nous explique que le glacier a nettement reculé à cause du réchauffement climatique qui commence à se faire ressentir ici aussi, au bout du monde, en Antarctique…
On continue le long de la plage pour observer une dernière fois les manchots qui se faufilent à travers les growlers pour rejoindre la plage. C’est toujours aussi amusant d’admirer ces drôles de bêtes se chamailler, en course poursuite ou tout simplement se déplacer.
Puis en continuant on a le droit à une nouvelle surprise : un léopard de mer !
Cet animal est un redoutable prédateur et n’hésite pas à s’attaquer aux manchots ce qui explique sa présence près de la plage. En le voyant osciller dans l’eau on peut se rendre compte de la taille de cette espèce, bien plus allongée et imposante que les autres phoques. Il a l’air perdu au milieu des quelques zodiacs qui l’entourent et de tous ces hommes en rouges qui le mitraille de photos.
Ça y est nous voilà de retour dans le bateau, et la prochaine fois que nous en sortirons ce sera pour débarquer à Ushuaïa. Nous sommes ravi d’apprendre que le Drake sera calme, ce qui est assez rare, on va pouvoir encore mieux profiter de la dernière journée en mer.
1er Mars
Il est 14 heures et nous profitons de cette première journée calme pour aller faire un tour en passerelle, c’est là que le capitaine et ses équipiers dirigent le bateau, choisissent les prochains lieux d’expédition et surveille le bon fonctionnement. Le capitaine nous présente les différentes personnes présentes, le fonctionnement de tous les boutons etc …
Cette passerelle ressemble à celles que nous avons pu voir auparavant dans les films, et on comprend aussi pourquoi ils repéraient si facilement les baleines et les autres animaux au vu du panorama qui surplombe l’océan.
2 Mars
Ce matin encore un imprévu : Le Cap Horn.
Le calme du passage de Drake a permis de prendre un peu d’avance sur le programme comme à l’aller, et le capitaine à choisi de faire le détour par cet endroit mythique.
Il est 9 heures et on commence à apercevoir l’île du bout du monde, un grand symbole pour tous les marins. Encore une fois nous avons de la chance car il fait beau et on a l’autorisation de s’approcher jusqu’à 3000 milles. On ressent l’émotion chez les passagers mais aussi chez les guides, c’est d’ailleurs la première fois qu’ils le voient pour certains.
Pour cette dernière soirée à bord de l’austral on en profite pour dire au revoir à Anom, un serveur toujours souriant avec qui nous avons beaucoup sympathisé au cours de notre voyage.
C’est bizarre de se dire qu’on va retourner à la vie normale, le temps qui paraissait s’écouler normalement au début a bien fini par s’accélérer une fois que les premières découvertes ont été faites. On a l’impression de mélanger tous les souvenirs de par leurs nombre et l’intensité de l’aventure, il y a tellement de choses qui nous ont marquées et d’éléments à retenir de cette expérience.
Elsa & Julien
Mise à jour : mars 2022